Vers l’extraction minière en haute mer ? Entre impatience et inquiétudes abyssales
24 février 2023
24 février 2023
Plonger dans les tréfonds du Pacifique pour extraire à grande échelle des minerais convoités : ce qui était jusqu’à récemment un horizon lointain pourrait devenir une réalité redoutée par les défenseurs de l’océan.
« Je pense qu’il y a un risque réel et imminent » que l’extraction commence, malgré « les risques environnementaux importants et les lacunes dans les connaissances », assure Emma Wilson, du groupement d’ONG Deep Sea Conservation Coalition. Et le traité pour protéger la haute mer, même s’il est adopté lors des négociations qui commencent lundi, risque de ne pas changer la donne : il n’entrera pas en vigueur tout de suite et il devra composer avec l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
En vertu de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, cet organisme basé en Jamaïque et ses 167 États membres ont la main sur ce « patrimoine commun de l’humanité » : le plancher océanique hors eaux territoriales des États et les ressources qu’il recèle. Avec un double mandat jugé inconciliable par les ONG : protéger l’environnement profond et y organiser les activités liées aux minerais convoités par les industriels.
Pour l’instant, les contrats accordés à une trentaine de centres de recherche et d’entreprise ne concernent que l’exploration de zones délimitées. L’exploitation n’est pas censée commencer avant l’adoption d’un code minier en discussion depuis près de dix ans.
Mais Nauru, petit État insulaire du Pacifique lassé d’attendre un accord, a lancé un pavé dans la mare en déclenchant en juin 2021 une clause permettant de réclamer l’adoption de ces règles d’ici à deux ans. À l’expiration de cette période, le gouvernement pourra solliciter un contrat d’exploitation pour Nori (Nauru Ocean Resources), filiale du canadien The Metals Company qu’il sponsorise, expliquent des observateurs, s’inquiétant d’un certain flou dans ce processus inédit.
Mettant en avant sa « bonne foi », Nauru a promis de ne rien faire avant l’assemblée de l’AIFM de juillet, espérant y voir l’adoption du code minier. Mais il est « très improbable » que le code soit terminé pour juillet, juge Pradeep Singh, expert en droit de la mer au Research Institute for Sustainability de Potsdam, en Allemagne. Il y « trop de sujets sur la liste », certains très contentieux comme la part des bénéfices de l’extraction reversée à l’AIFM puis son partage entre les États membres, ou les modalités d’évaluation des impacts environnementaux, explique-t-il.
Ainsi le premier contrat d’exploitation pourrait être accordé à Nori, sans code minier, craignent des ONG, dénonçant des procédures « obscures » et une posture « pro-extraction » du secrétariat de l’AIFM.
The Metals Company se prépare malgré tout. « Nous visons un début de la production d’ici la fin 2024 », indique son PDG Gerard Barron. Avec 1,3 million de tonnes par an au début, puis environ 12 millions d’ici 2028, précise-t-il, décrivant une « collecte » aux impacts « les plus légers », comparés à l’extraction terrestre.
Il s’agit ici de tonnes de nodules polymétalliques, petites concrétions riches en minéraux (manganèse, nickel, cobalt, cuivre et terres rares) déposées sur la plaine océanique au fil des siècles. Notamment dans la zone de fracture de Clipperton au milieu du Pacifique où Nori a conduit fin 2022 un test grandeur nature « historique », à 4 km de profondeur.
Mais « on ne parle pas juste de ramasser des nodules sur le fond, il s’agit d’aspirer les sédiments, parfois sur plusieurs mètres de profondeur », accuse Jessica Battle, de WWF. « Ouvrir une nouvelle frontière de l’extraction dans un lieu qu’on connait si peu, avec si peu de règles, serait un désastre ».
ONG et scientifiques pointent du doigt la destruction directe d’habitats et d’espèces peut-être encore inconnues mais potentiellement majeures pour la chaine alimentaire, le risque de perturber la capacité de l’océan à absorber le carbone émis par les activités humaines, les « panaches » de sédiments recrachés dans la colonne d’eau ou le bruit affectant la capacité de communiquer d’espèces comme les baleines.
« L’océan profond est la partie la moins connue des océans, alors certains changements pourraient se produire sans qu’on s’en rende compte », s’inquiète Lisa Levin, de l’institut océanographique Scripps. Et « si The Metals Company commence, ils ne seront pas les seuls », prédit la biologiste, qui a signé l’appel à un moratoire soutenu par une douzaine de pays, dont la France ou le Chili et des entreprises, notamment automobiles.